Voyage
Il pleut des jours pareils,
Aux langueurs trainées,
Chacun d’eux un wagon
D’un train sans arrêt,
Sans gare de repos,
Sans destination,
Chacun des passagers
Ne pensant qu’au vide
Au bout de la voie.
Le contrôleur est aux abois
Diffusant en héraut
Les nouvelles du front :
Clusters champignons
Vénéneux
Sauf pour les journaux
Se régalant de ces omelettes.
Il pleut des jours pareils
Aux longueurs décidées
Par des esprits indécis,
Devenus zombies,
Traînant leurs ennuis
Confis
Leurs cris enfouis
Sous la couette.
Il pleut des jours pareils
Aux grisailles d’horizons
Allant vers le ténébreux
Les malléables
Sont impeccables
Dans leur uniformité
Comme des malfrats
Ayant pris perpette.
Mais un passager clandestin
S’est caché dans ce train,
Furtif comme une abeille invisible
Qui se régale déjà
En admirant ses cibles,
Le dard affuté va servir
Il est la sonnette d’alarme
De chacun des voyageurs.
Et les piqûres sont douces
Tout autant que réelles
Ouvrant les yeux des martyrs
Qui lentement réalisent
Que le poids de leurs valises
Encombrées d’inutile
Les empêche d’avancer
Prisonniers sous le joug
Des bonimenteurs.
Alors un à un ils se lèvent
En silence bien sûr
Il ne faut pas brusquer
Tout en se délaçant
De ces choses sûres
Qu’on leur a mises
Comme boulet.
Encore des endormis
Ouvrant un œil surpris
De voir la vitre brisée
Faisant entrer le vent
Bousculant leurs chimères.
Bientôt en un temps record
Les debout sont des milliers
Le héraut est ligoté,
Bâillonné surtout
Par un masque de fer.
Le train continue pourtant
Son voyage interminable
Traversant des contrées
Noyées dans la grisaille
Plus une vache dans les prés
Enfermées dans les étables
Comme leurs maîtres résignés.
Les debout se congratulent
S’étreignent ô sacrilège
S’embrassent en riant
Finis ces jours crépuscules
L’avenir est au Levant.
Tous ces esprits éveillés
Ont courbé la voie
S’élançant vers un sommet
Faut-il être léger
Pour s’élever aux autres firmaments !
Le train est trop lourd,
De bagages, de dossiers
De lois et acharnements.
Le voilà qui ahane
Poussif,
Au bord de l’épuisement
Et c’est l’arrêt,
Définitivement.
Faut-il être léger
Pour vivre autrement !
Que survivre au milieu
Des gravats, des hommes d’argent
Les passagers hagards
Descendent du convoi
Des morts vivants !
Les enfants soudain
Semblent être nouveau-nés
Les voilà à courir dans les champs
S’évader dans les prés ;
Il y a même une rivière
Chantant sa lumière
Et ses reflets
Il y a même un rêve
Se faisant réalité.
Le premier oiseau
Se pose sur la berge
Suivi par d’autres
Tout aussi frétillants
De liberté.
En tête du train
Pas de locomotive
Mais deux géants
Ecroulés.
Pouvoir et Puissance
Ont achevé leur errance
Ils entrent dans l’Histoire
Devoir de mémoire
Les enfants veulent jouer.
Les passagers resteront ensemble
Pour pouvoir s’aider.
Plus de jalousies,
De haines ancestrales
Les mains sont offertes
A recevoir celles données.
Puis les uns et les autres
Par groupes ou isolés
Vont s’éparpiller.
Le soir déroule un léger voile
Sur ce jour particulier.
Tout à l’heure dans la nuit noire
On dansera sous les étoiles
Autour d’un feu de braises
Et de flammes d’amitiés.
J’ai même vu un enfant
Endormi dans les bras
De son père fatigué,
Lui-même fermant les yeux
Un sourire de connivence
Avec cette soirée.
J’ai même entendu
Un murmure du silence
Chatoyer les cimes
Et les champs de blé.
Alors délicatement
Je suis parti,
Les laissant ainsi
A ce Monde nouveau-né.
Je suis quand même
Aller délivrer le héraut
Il est devenu un compagnon
Qui sur un bout de cahier
A écrit au crayon
Cette ode à chanter.
Michel Labeaume
16.02.21.