Tic Tac
Il a regardé une énième fois par les meurtrières. Hormis les saisons, apportant leurs jeux de couleurs et de lumières, le paysage offrait toujours une certaine monotonie innocente. Mais ce jour-là, il aperçut loin sur l’horizon, une lueur, pas un feu de camp non, une simple lueur et sentit monter en lui une invitation à la rejoindre. Alors il quitta la forteresse. Sa marche fut d’abord hésitante puis au fur et à mesure il prit de l‘assurance, de la confiance même et ce fut la dernière fois qu’on le vit. Derrière lui, des guerres de pouvoirs, des devoirs de mémoire, des tourments, des mensonges affichés en vérités et des vérités oubliées, tenues secrètes dans des cachots. Plus il avançait, plus la lueur s’éloignait vers l’horizon. ; Il traversait des vallées d’’une beauté saisissante. La nuit, les montagnes se couronnaient de constellations, de firmaments lointains et même des arbres morts accrochaient à leurs branches ayant offert tant et tant de fruits, des étoiles, et même des galaxies. Il dormait au non-hasard d’un choix judicieux, ses rêves le menant vers d’autres pèlerinages. Hors du Temps. A chaque aurore, il se sentait incapable d’avancer. Alors, il s’asseyait et regardait le pastel de bleus, rose, orangé et rouge cependant que des robes de brume dansaient près des rivières, des étangs. Dansaient un slow langoureux mis en émoi par la biche et son faon. Il mangeait quelques fruits et reprenait son pèlerinage, ragaillardi. Des rencontres, il en a eu, et en aura bien d’autres encore. Comme ce pauvre pêcheur en bord de mer qui lui offrit durant 3 jours le gite et le couvert. Jamais il n’avait ri autant des histoires racontées par le petit vieux qui lui aussi riait, trop heureux de vivre ces instants. Il riait, le petit vieux, il riait en montrant son unique dent du bas, ce qui ajoutait de la cocasserie. Ô joies simples ! comme vous manquez à l’Humanité ! Une autre rencontre le secoua émotionnellement. Alors qu’il traversait un village, il aperçut une vielle dame courbée dans son potager, occupée à le nettoyer. Quand il passa près d’elle, elle leva la tête et lui sourit. Elle entra dans la maison. Il la suivit. S’asseyant dans la cuisine, elle commença à équeuter des groseilles, tout un panier. Il s’assit et l’aida. Elle lui parla presque en murmurant, lui disant qu’il avait fait le bon choix. Même si tu fais partie d’une communauté, d’un pays, ta vie, ton existence plutôt, t’appartient. A toi et toi seul. Ceux qui prétendent le contraire sont soit des fourbes, soit des ignorants. Nous sommes toutes et tous des abeilles pour concevoir le miel de vie, apportant douceur et sublimation de nectars. Force est de constater que frelons et bourdons dévastent tout. Tu as eu raison de tout quitter. Il y aura toujours ailleurs un peu de ce miel. Continue de suivre la lueur. Tu n’es ni déserteur, ni fuyard, mais un choix. Unique. La graine qui se retrouve sur une terre stérile sait qu’elle s’est perdue, qu’elle ne donnera rien. Alors elle fait comme toi. Elle attend le moment opportun, en l’occurrence le vent qui l’emmènera sur une terre fertile. La petite vieille alla avec lui dans un petit salon et s’assit devant un vieux piano. Elle se mit à jouer, de la musique douce puis plus entraînante. Ensuite de quoi elle lui joua un morceau de violon, le regard perdu au loin, jouant avec l’archet comme s’il était vivant. La visite dura deux heures.
Bien des années après, alors que la Terre se renouvelait, ayant fait fi des monstres d’acier, des canons, des morts stupides pour des pouvoirs aveugles, on aurait dit que la Nature reprenait ses droits, mais bien plus encore. Car ses habitants, ces passagers du Temps avaient découvert une autre façon de regarder. Découvrant ainsi l’extraordinaire. Un jeune couple, en randonnée, découvrit dans la montagne, cachée à la lisière d’une forêt dense, une bicoque. Elle était très ancienne, ç’était flagrant, mais dans un état tel qu’ils auraient pu la croire neuve. La porte ouverte invitait. A l’intérieur, presque rien, une table, 3 chaises, un coin cuisine et un lit. Sur la table, deux dessins, couverts de poussière. L’un représentait un vieux pêcheur et l’autre une petite vielle de profil jouant du piano. Au fond de ces personnages, la même aurore, jouant de ses pastels bleus, orange, rose et rouge.
Michel Labeaume
15 août 2024