Testament

Testament

Souvent, en catimini, réfugiés dans leurs pensées auréolées d’un riche vécu, ils se demandent ce qu’ils font là, dans ce Monde immonde où la faconde des potentats déverse tant de mensonges et de blablas. Les vieux. Encore une aurore ou l’horreur et les abominations sont encrés au port de l’océan sur lequel ne naviguent plus que des banquiers sournois, alors ils tournent les pages du quotidien jusqu’aux mots croisés. Les vieux. Notez qu’écrivant « les vieux », je ne tombe pas dans le persiflage idiot mais bien dans l’éloge respectueux, le dithyrambe lumineux, un peu comme l’enfant au pied d’un séquoia géant. Les vieux. Face à eux, je sais que je reste enfant et mentalement je m’incline, humble serviteur autant que spectateur d’un livre vivant. Les vieux. Parfois, par chance, je les croise assis sur un banc, contemplant la douce lumière d’automne sur la rivière tranquille. Contemplant également des images fugaces d’un passé riche d’instants joyeux, de drames et de luttes pour une dignité sans cesse remise en cause. Les vieux. Alors si j’ose, je m’assoie à côté d’eux et un simple sourire ouvre la conversation. Sur le temps, sur l’oiseau qui se pose, sur la jeunesse insouciante qui rit et qui danse en piétinant l’ennui. Les vieux. Puis ils se lèvent et s’en vont, lui tenant sa canne fermement, bras dessus, bras dessous avec madame faisant de très petits pas dans l’allée, jusqu’au bord du crépuscule où les attend quelque intimité maintes fois répétée mais tellement précieuse, parfois légèrement secouée par les miaulements du chat réclamant son repas du soir. Les vieux. Quelquefois, monte en eux comme une nausée le moment fatidique où ils vont servir de pompe à fric d’un EHPAD. Souvent, tous deux s’ils sont paysans, profitent du soir pour s’asseoir sur le banc devant la maison, silencieux et souriants, contemplant la terre maintes fois travaillée, maintes fois choyée, ce moment sacré par deux mains qui s’unissent.  Les vieux. Je me souviens de cette mamie, au visage ridé comme une vieille pomme oubliée, me disant, de sa voix chevrotante : je ne suis pas belle. Madame, ai-je répondu, chacune de vos rides est un chapitre racontant à qui sait bien lire avec les yeux de l’amour, tant et tant de vécu, Quelle œuvre madame vous m’offrez ! Vous êtes comme ce vieil arbre, bousculé par les pluies et les tempêtes, imposant au regard du promeneur la vraie valeur du Temps qui passe, cette audace d’afficher la beauté de son âge. Laissez-moi vous aimer. Et la voilà qui me sourit. J’étais venu pour ses douleurs. Je suis reparti avec un peu de son cœur. Pour moi, c’est ça la Vie. Les vieux. Il se lamente parfois de ne plus pouvoir marcher correctement. Lui et son épouse je vais les voir souvent. Quel enchantement ! Quelle leçon offerte par le Grand Maître du Temps ! Laissons dans l’ombre de l’ombre impertinences et ironies et marchons ensemble en ayant à cœur d’aimer. Les vieux. C’est tellement plus beau, tellement plus léger.

Michel Labeaume

Date de dernière mise à jour : 10/10/2024

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