Le Chemin
Le grain de poète,
Vêtu d’un manteau noir,
Entame sa marche.
Dans le champ, à sa gauche,
Trois corbeaux sur une branche noircie
D’un arbre incendié
Le regardent.
Ne croassent même pas.
Plus loin, on distingue un ruisseau
Indifférent,
Chantant ses clapotis.
Un peu plus tard,
Une maison sur la colline,
Une femme en sort
Avec un seau.
Qu’elle va remplir de charbon
Puis entre dans la maison,
Ferme la porte.
Plus loin,
Des brancardiers
Portent un blessé
Le fusil en bandoulière.
En face, sur le chemin
Arrive en courant un gamin
Brandissant un papier
C’est l’armistice !
C’est l’armistice !
Il a failli buter
Sur un agonisant
Qui, l’entendant,
Meurt en fredonnant.
Le grain de poète
N’est pas indifférent
Il sait simplement
Que sa marche c’est important.
Le ciel est gris noir.
De temps en temps
Une pluie fine
Froide, glacée même
Averse narquoise…
Heures,
Heures,
Une camionnette
D’un dépanneur tv
Le dépasse,
A toute allure.
Désormais les dépannages
Sont gratuits,
Cadeau du gouvernement
C’est important les infos…
Heures,
Heures,
Une meute de chiens efflanqués
Se dirige rapidement
Vers une ferme abandonnée.
Seul un vieux cheval
Dans le pré d’à côté.
Il s’agite, il prend peur.
Heures,
Heures,
Il n’y a plus d’heure bleue
Soulignant les crépuscules
Qui tombent, lancinants
Sur un jour qui capitule.
Le grain de poète
Dort où il peut
Un petit bois
Un cabanon
Au bord d’un étang
Où les cygnes
Ont pour consigne
D’arrêter le temps.
Les aurores sont blanchâtres
Sans belle lumière
Le soleil où est-il
Peut-être en exil
Ailleurs sur la Terre
Heures, heures
Un homme devant lui,
Assez loin,
Court, court,
Essoufflé
Tenant fermement dans ses mains
Des obligations
Il dépasse le grain de poète
Continue sa course éperdue
C’est un trader affolé
La Bourse a dégringolé.
Au bord de la route
Là, après des heures
Et même des jours
Une maison isolée
Une vieille dame sort en souriant
Lui dit bonjour
Et lui tend un verre
Et une bouteille d’eau.
Il salue souriant lui aussi
Se désaltère
Et après un salut
Repart.
Heures,
Heures,
A droite un stade de foot
La pelouse est une savane
Un éléphant s’y pavane
Poussant des barrissements.
Depuis le grand départ,
Le grain de poète
N’a pas vu un oiseau,
A part les lourds corbeaux
Tous les autres sont devenus
Migrateurs
Partis vers cet ailleurs
Où les consciences vont plus haut.
Heures
Heures,
Il devait y avoir une fête foraine
Là, reste la grande roue
Sans lumières et rouillée
Le forain sur un siège
Dort profondément.
Il doit rêver sûrement
De manèges et d’enfants.
Eparpillés dans la campagne
Des silences montent du sol
Tourments jaillissant des profondeurs
Du passé,
Chants des morts,
Chants des sacrifiés.
Un orateur sur son estrade
Reste sans voix,
Les gens ont fui
Les harangues ont semé
Des pissenlits
Qu’ils mangent par les racines.
Heures,
Heures,
Le long ruban des jours
Se déroule
Le grain de poète
Devient parfois
Starets
Prophète donnant aux enfants
En haillons
Une main de sagesse
Sur leur front
Ici et là des gravats
De routines
Que le néant va dévorer.
Ogre insatiable
Sans cesse aux aguets.
Le grain de poète
Continue sans fatigue
L’horizon le stimule
Il devient vestibule
De Temps nouveau-nés.
Un peu plus loin
Sur le tronc d’un saule pleureur
Un vieux haut-parleur
Diffuse, hachurés
Des mots que le pouvoir beugle
A des bourreaux aveugles,
Qu’il ne faut rien changer.
Le désordre établi
A tout ravagé
Heureusement la Nature
Ne vivant que d’ouvertures
Emerge des forêts.
Heures,
Heures,
Arrivant de nulle part
Des semeurs hilares
Brandissant leurs sacs sans semences
Savent que le moment avance
Guettent les nuées grises
Attendant la grande offrande
Du Verbe aimer.
Soudain,
Un vent de sable se lève,
Venu tout droit de l’horizon
Terrible
Le grain de poète
Met sa capuche,
Courbe le dos,
Affronte le fléau
Du sablier brisé
Déversant sur son passé
D’incohérences
Une chape d’oubli.
Heures,
Heures,
C’est l’éclaircie.
D’abord en fissures bleues
Sur le ciel gris
Puis cet azur merveilleux
Présageant la Vie.
Le grain de poète
A des poussées de fièvre
Il se sent à l’étroit
Dans son vieil habit.
Le grain de poète
Germe,
Sous l’azur
Devant l’horizon ouvert
Comme un écrin.
Le grain de poète lève les mains
Salue en riant
Et pleurant en même temps
L’Aube nouvelle.
Les oiseaux et la Colombe
Décrivent des envols
De jeux de renouveau.
La Vie est vraiment folle
De croire en l’Homme nouveau.
C’est fou ! je suis fou !
Dit le poète germé.
Et le vestibule
D’une éternité.
Michel Labeaume
24.12.22