La Montagne
Il y en a qui, découvrant un haut sommet frétillent d’impatience à le conquérir. J’ai vaincu la montagne ! dira l’alpiniste. Comme si ce sommet était un ennemi. L’homme s’entoure d’ennemis afin de justifier ses besoins égotiques de combattre, vaincre et se pavaner comme étant le meilleur, l’as des as. Adonc, celui qui, voyant la majestueuse œuvre bâtie par le plus patient des Créateurs sur des milliers, voire des millions d’années, sourit et prenant son bâton de pèlerin, entame sa marche. Il sait d’ores et déjà qu’elle sera longue, pénible même parfois. Il sait également qu’il vivra des moments intenses, des rencontres fortuites (ou paraissant l’être) pour vivre des moments de repos actifs, des instants de silence clamé à l’aube ou en milieu d’après-midi peut-être seulement déchiré par le cri d’un rapace. Il aura des regards mouillés en appréciant une vallée tôt le matin, couverte de brume et de laquelle dépasse le clocher d’une église. Il déploiera son aura afin de ressentir les lieux jusque dans les moindres recoins, comme celui duquel surgit le renard ou un peu plus loin le chevreuil. Il ressentira les habitants encore endormis, sortant de leurs rêves d’un monde meilleur, ou certains sortant de leurs cauchemars d’un monde croulant, grabataire. Alors il attendra, patiemment que l’unique bar du village s’ouvre pour y prendre un café et pourquoi pas (s’il y en a) un croissant. Le patron allume la radio et aussitôt surgissent des sources officielles, des torrents de désinformations, mensonges et autres commentaires sur une économie malade. Alors il ne restera pas longtemps. Il a trop besoin de cette fausse solitude qui l’accompagne, qui le chapeaute, qui le guide. Il a découvert il y a longtemps déjà que la solitude n’existe pas vraiment. En fait c’est l’individu qui la fabrique suivant son état d’esprit. Bien dans sa tête, bien dans son corps, heureux d’être heureux n’en déplaise aux souffleurs maléfiques sur la scène du Monde. Il leur paraît presque comme un hérétique, hors de la réalité (la réalité de l’immonde). Mais peu lui importe, de se sentir vivre quelque peu une hérésie lui sied. Ça le revigore, lui donne plus de motivation. Il a trouvé son église, ses piliers balancent leurs cimes au gré d’une brise chuchotant des mystères à l’heure bleue précédant le crépuscule. Il a trouvé son confessionnal, lieu secret bien entretenu à l’entrée de son âme et duquel un autre dialogue constructif s’installe si besoin est. Il a découvert que l’être humain n’est pas ce que la plupart pensent, à savoir un être né par hasard et devant subir toute son existence sous la menace de pouvoirs encore plus égarés que lui. Il sait que l’approche vers la Connaissance doit se faire avec le mental libéré de toutes scories. Et pour repartir encore plus beau, encore plus lumineux vers les autres oasis de Connaissance d’où il pourra s’abreuver. Oui, parfois il se sent un peu comme une graine d’étoile qui, à chaque étape franchie, reçoit plus de lumière, jusqu’à peut-être devenir une constellation. Mais là, il en faut des montagnes, des sommets à franchir, des brouillards opaques et pestilentiels de négations, de sournois à traverser, l’âme et le cœur sereins. Aussi, je veux te dire, homme pressé de vaincre un sommet, que si tu brûles les étapes, tu fais de ta courte existence un incendie. En fait, tu gâches ton temps alors que celui qui marche, sûr de lui, vers ce sommet inconnu qu’il a en lui, vivra au sens le plus majestueux qui soit, dépassant par sa richesse vibratoire le plus précieux des trophées.
Michel Labeaume