Une brume comme lancinante vient s’installer sur ce marché de Noël dans le petit bourg. Il fait assez froid mais cela n’a pas empêché nombre de villageois de sortir. Vin chaud, marrons grillés, guirlandes illuminées, la tradition ne s’oublie pas. Il semble même régner dans cette foule bigarrée comme une certaine joie empreinte de sérénité. Sauf là, en bas du kiosque, adossé contre son mur, un SDF. A peine 40 ans, les cheveux longs, une coupe devant lui avec quelques pièces et un carton sur lequel est inscrit : SVP. Rien d’autre. En guise de vêtements, une polaire kaki et un pantalon en velours côtelé et ses mains protégées par des mitaines, l’obligeant à souffler souvent sur ses doigts ankylosés par le froid.
Un oiseau soudain se pose devant sa coupe. L’homme le regarde et sourit. Il sourit mais quand il voit l’oiseau faire le tour de la coupe plusieurs fois, ses petites pattes dessinant un cercle dans le peu de neige boueuse.
- Ben le piaf, dit l’homme : Qu’est-ce que tu fous ?
L’oiseau continue pendant une minute ou deux laissant l’homme perplexe. Puis il s’arrête. Net. Et fixe l’homme intensément.
- Je t’aime bien mais arrête là, tu me fiches la trouille !
L’oiseau s’en fout. Il entame à nouveau une ronde endiablée autour de la coupe et en pépiant en plus. Des gens s’arrêtent, interloqués.
- Il est à vous ? Demandent certains en déposant une pièce ou deux.
- Non, dit l’homme, vient d’arriver là me faire son cinéma.
Certains applaudissent même et la coupe se remplit et il y a même des billets ! Des petits billets me direz-vous mais un petit billet pour un pauvre hère c’est quoi ?
L’oiseau s’arrête de temps en temps tout en fixant le SDF, l’oiseau comme impassible. Lui, enfourne l’argent dans ses poches et le manège continue.
Il est près d’une heure du matin. On sent la fatigue s’installer partout (sauf chez l’oiseau). Chacune et chacun rentrent chez eux laissant la nuit aux étoiles qui la font briller.
Et brillent aussi les yeux de l’homme quand il compte le pécule récolté. Il ne peut s’empêcher de verser quelques larmes et à travers elles regarde l’oiseau en lui tendant la main. L’oiseau vient s’y installer. L’homme se lève. L’oiseau s’envole part et revient. Il part dans une direction comme pour lui dire où aller.
- Ben, tant qu’on y est, je te suis.
L’oiseau alors entame un vol de joie. Cela se voit. Il monte, il descend, il virevolte de gaieté. Les voilà sortis du village quand l’oiseau se pose sur une barrière. Derrière, une petite chapelle du VIIIème siècle, très vénérée et respectée par toute la contrée.
L’homme pousse la barrière et marche vers la chapelle. Mais l’oiseau ne va pas vers la chapelle. Il se dirige vers une petite bâtisse à côté.
L’homme y pénètre.
L’oiseau, aussitôt se met à picorer la terre dans un coin, s’arrête de temps en temps et regarde son compagnon.
- Tu fais quoi là ? Puis il semble comprendre ce que l’oiseau veut lui dire.
Alors il se met à genoux et creuse avec ses mains. De la terre argileuse dure et froide sur près de 20 centimètres et puis des cailloux.
Un travail de fou ça ! Dit l’homme à l’oiseau tout en souriant et peinant. Plus dur le sol. Il prend un caillou et tape. Ca fait un bruit métallique. Plus qu’intéressé (et ayant repris des forces) il s’acharne à dévoiler ce secret : Une boîte en métal sculpté d’angelots et d’étoiles. Il la dépoussière en soufflant et en balayant avec ses mains tout en regardant du coin de l’œil l’oiseau.
Pas de fermeture. Elle s’ouvre simplement. A l’intérieur, un livre, un opuscule avec comme titre son prénom : Pierre. Là Pierre est soufflé. Il lève la tête pour regarder l’oiseau. Mais l’oiseau n’est plus là. Parti, ayant accompli sa mission, il a laissé Pierre à présent commencer la sienne. Car ayant lu le livre d’un trait, il va découvrir les erreurs qui l’ont conduit à son errance et la solution pour se relever. Tout y est inscrit, certes, avec beaucoup de métaphores, afin que son esprit s’élève, mais avec beaucoup de beauté, afin qu’il soit élevé.
Les villageois reverront Pierre. Il s’est relevé.
Il est allé à la ville toute proche (y est resté près de deux ans) pour trouver une place dans cette société – Cela a été dur mais croyant à l’oiseau…).
Il est beau dorénavant car à la petite bibliothèque du village, il en connaît un rayon sur les livres (et les histoires d’oiseaux).
Au fait, j’ai oublié de vous dire : La bibliothèque a de nombreux livres sauf un :
Quelqu’un l’a brûlé.