Dilemme

Le Dilemme

(Vers l’Un-Connu)

A la brume surgie de la nuit qui se meurt semble s’ajouter un vent de sable, d’abord faible puis de plus en plus puissant et qui éparpille les brouillards de la confusion en lambeaux se dispersant. Le vent de sable est arrivé soudainement, soufflé par un Eole fatigué de voir l’humanité tourner en rond dans sa cage. D’un geste rageur, il a saisi le grand sablier et l’a jeté sur la planète ecchymose. Beaucoup fuient, la peur d’être emportés par cette tempête de temps disloqué leur nouant le ventre. Les radios, les télés ne savent plus quoi annoncer, trop habituées à leur langage soporifique. Sur certaines ondes, on diffuse de la musique classique. Là, c’est la chevauchée des Walkyries, de Richard Wagner.  Sublime. Prenant. Quelques-uns ont pris un chemin de traverse pour fuir. Mais ils ne semblent pas vraiment apeurés. Après des heures et des heures de marche harassante, les voilà arrivés tout au bord du Dilemme. Il est immense. On ne voit pas l’autre côté (si tant est qu’il y en ait un). On ne voit pas le fond. Tout est noir. Ils savent que derrière eux la tempête de temps arrivera jusqu’ici. Pour les emporter dans le Néant. Et cela il n’en est pas question. Quelques-uns s’avancent jusqu’au bord, le regard scrutant les ténèbres d’où semblent se détacher les prémisses d’un choix cornélien : un corbeau au croassement pervers suivi par des dizaines de congénères tout aussi bruyants. Et voilà le phénix, l’oiseau de feu, immense, ignorant totalement la noirceur des corvidés, s’approchant presque à les toucher la troupe des fuyards. D’un battement d’ailes majestueux, il plonge dans les profondeurs du Dilemme. Qui s’embrase. Les hommes, les femmes et les enfants se regardent, quelques-uns sourient. Et la Colombe paisible surgit de l’autre côté, laissant derrière elle des milliers de brindilles de lumière. Elle aussi plonge sans se presser, après quelques figures au-delà de la magnificence. Elle plonge. Plonge. Doucement. Sûre d’elle comme si elle connaissait les lieux. Le Dilemme s’éclaire. Eblouissant. La troupe s’agite, semble hésiter mais les visages se transfigurent. Ils se lancent. Osent. Ils sont surpris d’être portés par un Souffle, se sentent légers. Quelques-uns pleurent d’émotion. Ils suivent la Colombe paisible qui semble déjà loin mais franchement, quelle peut être une distance quand il y a le Lien.

Derrière eux, les radios et les télés crachent du larsen au milieu des débris, des dégâts causés par la tempête du Temps. Au croisement de deux routes que l’on devine plus que l’on voit, tant le sable est présent, une limousine est arrêtée, le chauffeur a le regard perdu dans l’incompréhension et son passager, un gros ponte boursier, regarde par la vitre un enfant venir à eux. Le ponte baisse la vitre et l’enfant, d’une voix sûre lui dit :

  • Venez ! Si vous osez être heureux. Suivez-moi. Mais je ne vous oblige pas.

Michel Labeaume

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