Minutes
Dehors, le ciel est gris et la pluie en quelques gouttes éparses et dérisoires inflige à la ville
un sentiment de moment perdu, de minutes hors du temps, du calendrier pressé sans cesse de dévorer ses régimes de dates, fruits du grand Sablier. A l’intérieur du bâtiment, c’est la fête.
La fête dans cette maison de retraite où des jeunes et des plus grands font tout pour honorer les résidents, assis et admirant qui d’un regard larmoyant, qui d’un œil presque fermé, luttant contre un sommeil, ou d’autres recroquevillés dans leur fauteuil roulant, les membres ankylosés dans de lointains souvenirs. Les visages ridés témoignent des vies de labeur, sillons de vie dans le grand champ où même le sang a coulé. Il est là, l’homme qui a posé sa main sur celle de sa compagne à la tête penchée sur le néant de rêves enfouies. Il remue les lèvres. En fait, il chante. Il chante en répétant la chanson, Petit papa Noël, entonnée par l’animateur sur la scène. Il chante en murmurant. Et l’on sent, l’on sait même, qu’il essaie, avec sa main posée sur celle de sa compagne, de transmettre par l’union de ces deux mains qui créent l’éternité d’une alliance, tout simplement un peu de joie. Une larme coule sur sa joue. Elle vient abreuver les sillons de vie. Il la laisse venir, il la laisse aller, il continue à murmurer Petit papa Noël, à côté de sa compagne pelotonnée dans sa couverture, voyageant hors de ces murs, dans des rêves d’hier et d’ailleurs. Il y a de ces instants dans la routine de nos quotidiens qu’il faut savoir saisir. Je n’ai pas osé prendre en photo ce vieux couple. Ai-je eu tort ? Ai-je eu raison ? Peu importe, c’est un instant d’émoi gravé dans le grand livre de l’existence et qui ouvrira ses belles pages à chaque moment voulu.