Le violon

Le violon

Ce ciel d’un soir est un gros duvet blanc-gris et noir avec au-dessus un léger voile orangé, message d’un soleil fatigué. Surplombant une journée languide, il est arrivé doucement et j’ai l’impression fugace qu’il est rempli de nos déboires, des encombrements de nos mémoires saturées. De brusques rafales de vent courbent les branches fouettant l’air chargé de pluies glacées. Il s’achève ce temps où des mamans, se penchant sur le berceau : dors bien mon enfant ! un jour tu seras puissant, tu seras bourreau.  Là-bas, très loin diront certains, pourtant à quelques encablures d’où proviennent des murmures pelotonnés dans les abris, dans une campagne ravagée par la déchéance meurtrière, une maison isolée en pleine campagne. La façade, un grand trou béant. La vieille dame est debout, face aux prés, face aux champs où poussent des cris et des tombeaux. Elle a dans sa main un violon. Alors elle essuie ses larmes et se met en position. Elle déroule dans un jeu d’archet sublime la vie en rose. Les notes semblent être des papillons voulant faire pleuvoir d’autres moissons. Devant elle, le néant, cet abîme de déraisons. Elle jouera ainsi durant des heures requiem et aubades jusqu’à l’instant où les canonnades enfouiront ses passions. Le violon sera retrouvé sous les gravats dans son étui. Pas l’archet, c’est Cupidon qui l’a pris.

Michel Labeaume

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