Extrait de "Regards"

Page 89 de "Regards" (titre : A J.)

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A J.

n 17 juillet, Saint-Amé dans les Vosges. Nous

sommes, mon épouse et moi, chez des amis

dont Bernard, qui nous loge. Ce soir c’est lui

qui était aux fourneaux. Nous sommes tous à l’apéritif.

Il y a Sabine et Jean-Pierre, et leurs deux filles Jessica

et Nathalie. Comme d’habitude, l’ambiance est à la

détente, à la bonne humeur et au plaisir d’être ensemble.

Je crois que je ne saurai jamais pourquoi je me

trouve aussi bien parmi eux. Il y a, chez ces amis,

comme un rayonnement simple mais tellement lumineux

qui influe sur mon âme, la rendant tout à la fois

presque transparente et complétée d’une joie sans pareil,

et ce du lever au coucher. Je me sens capable de

les bénir tant ils m’apportent. Nathalie me propose de

descendre aller voir la Guite. La Guite, 94 ans, est la

maman de Bernard. Elle habite la maison juste en dessous.

Alerte, elle entretient encore son jardin et termine

toujours ses journées par une séance de musique.

Elle joue de pas mal d’instruments et il lui arrive

d’avoir encore des élèves. J’hésite tout d’abord sans

vraiment savoir pourquoi puis je me décide et disant

« allons-y » à Nathalie ; nous voilà partis, frémissant

comme des gamins. Nathalie entrouvre la porte d’entrée

et l’appelle. La Guite nous dit d’entrer. Elle est

dans sa cuisine, occupée à équeuter des groseilles.

Nous discutons de choses et d’autres quand Nathalie

lui propose de nous jouer quelques morceaux au piano.

Nous nous levons tous et soudain je glisse à l’oreille

de Nathalie : il y a quelqu’un dans cette maison. Elle

me dit : tu as raison. Dans le couloir je me dirige vers

la salle à manger et je vois. Je vois, dans l’angle de la

pièce, en haut près du plafond, une silhouette vêtue

dans une lumière blanche. À mes questions, Nathalie

me répond que La Guite en 1965, a perdu une fille,

Jacqueline, alors âgée de quinze ans, percutée par une

voiture et son corps reposait dans la pièce. La Guite

s’assoit au piano, prend une partition et c’est parti. Elle

ira même jusqu’à pousser la chansonnette. Je suis là,

admiratif, pantois même devant ce petit bout de femme

alerte qui a un vécu très riche tant de joies que de

peines et arrive toujours à conclure ses phrases par un

sourire magnifique. Combien de temps serons-nous

restés près d’elle ? Impossible à mesurer, c’était hors

du temps. Au moment où elle se lève, souriante, nous

lui disons merci et l’embrassons de tout notre coeur.

Dans le couloir, je sens dans mon dos quelqu’un entrer

en moi. Un adombrement. J’en ai déjà vécu. Je pense

savoir de qui il s’agit et j’entends en moi tout un bouquet

de joies et de remerciements d’avoir fait le déplacement.

Je sais, je sens que c’est Jacqueline et je ressens

alors un bien-être total. Elle me dira d’autres

choses que je n’ai pas bien comprises car bousculé

d’émotions. Par ce témoignage, je voudrais remercier

cet être dont l’existence terrestre a été écourtée mais

qui continue, de jours en jours, à veiller sur sa maman.

 
 
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