Déviation
Quant aux aurores, tu te trouves face à un bouquet d’arbres enveloppés de brume et de lumière dorée, que même une brise ne vient de son frémissement caresser, que seul le silence est narrateur et te murmure dans ton intuition de te taire et de te plonger sans crainte dans cette subtile alchimie de non-hasards, tu oses obéir. Et te voilà, aventurier de l’indicible, parcourant ces instants précieux posés dans l’écrin de lumière avec ton cœur et ton âme réunis. Tu n’es plus rien. Tu ne portes plus ton corps. Ton corps ne te porte plus. Abandonné totalement à cette magie, tu laisses une larme venir comme venant signer ce parchemin d’images auxquelles tu t’es confié. Cerise sur le gâteau, la biche et le petit, autant que toi surpris, partagés entre la curiosité et la crainte, restent là, à te regarder. Alors, dans un ersatz d’éveil, tu prends la photo. Et tu te dis, que le déclic de l’appareil, c’est petit. Vraiment petit.
Au petit matin, te voilà debout. Prêt ou presque à attaquer un énième jour de routine, lourde et lancinante comme une douleur nécessaire, inéluctable. Et puis tu souris. Tu ris même. Tout seul. Tu viens de décider de sortir de cette ornière trop profonde et boueuse, remplie de mensonges et de sang. Après un café vite avalé et une bonne douche, te voilà roulant au hasard et tu t’arrêtes dans un village des environs. Tu entres dans le bar et tu vas t’asseoir dans un coin après un grand bonjour de la patronne auquel tu réponds, presque ravi. Tu observes, tu étudies, tu écoutes. Tu te laisses aller tranquillement dans cette excursion au sein d’un petit monde d’ailleurs, si près pourtant. Il y aura le boucher, y allant de sa verve, décorant les lieux d’une bonne humeur féconde. Il y aura le facteur, l’ouvrier, le vieux couple venant comme à son habitude s’asseoir à la même table et prenant un petit déjeuner en silence, l’échange entre eux se faisant par connexion télépathique, tant ils ont de route commune parcourue ensemble. Il y aura le paysan du coin, facétieux, ses habits à l’odeur de foin et de terre bénie, lâchant avec sérieux une plaisanterie faisant rire la clientèle même le vieux couple, tout à ses tartines beurrées, sortant de leur intimité, surpris et curieux. Tu y seras resté une poignée d’instants, nul besoin de chronométrer ce qui émane de l’éternité.
Il y a mille et une façons de sortir de la routine, ce danger mortel. Sans se défaire de son uniformité qu’elle soit citoyenne ou autre, on peut déjà, à peine les premiers pas d’évasion accomplis, ressentir un autre habit venu d’on ne sait d’où nous vêtir après avoir jeté aux oubliettes la lourde cape des monotonies. Cet autre habit est une forme de nudité. Appelons-la audace. Appelons-la liberté.
Cet esprit de liberté est autant un besoin vital pour tout un chacun que nombre de lois et décrets sont superflus. Le pouvoir a besoin de s’affirmer pour exister. De ce fait, à cours de vocabulaire, il en est venu aux maux. La liberté de chacun n’a besoin que d’une chose : la garder comme un bijou précieux dans ce silence et cette certitude qui nous font tenir debout.
Demain, aux aurores, osez franchir le seuil de la délivrance. N’oubliez pas de la vêtir avec le verbe aimer. Il n’y a que lui qui puisse vous amener à rayonner. Dans le dictionnaire, il y a le mot guerre. Dans celui du Silence, il y a l’éternité.
Michel Labeaume