Fleurs oubliées.
Un jour de folie, un jour d’audace, je me suis retrouvé tout dégoulinant de vie. J’étais tout petit mais je venais de plus grand. J’ai poussé d’abord comme une fleur, même peut-être un rosier. Mes épines ? Mes peurs. A la découverte de ce jardin fourmillant de bruits, j’avais sans cesse les yeux en corolle pour admirer cette scène de théâtre jouée par des inconnus. Puis j’ai grandi, on m’a enrôlé pour jouer dans cette pièce. J’ai appris mon rôle, mais sans conviction. Jeux de rôles, jeux brouillons. Tragi-comédie ? Mélodrame ? Opéra-comique seulement quand j’arrivais à ne pas prendre mon rôle au sérieux. Absurde ! Antinomique ! Quand on m’enfonçait dans le crâne les dates de l’Histoire, trépané pour un devoir de mémoire, je sentais au fond de moi l’incongruité de ces leçons, l’aberration en voyant le maître le doigt levé en guise d’avertissement : Apprenez ! Apprenez ! Et j’ai été voir d’autres jardins. Le Destin-jardinier m’a emporté ici et là-bas, puis tout au loin. J’ai rencontré d’autres acteurs. Nous étions tous de la même troupe et jouant toujours la même pièce. Un drame. Rien d’autre. Un drame se répétant au gré des époques, un peu comme si le Destin-jardinier à chaque printemps ressortait les mêmes outils. Un peu comme si notre maître à tous était cette coquecigrue évadée d’un conte moyenâgeux, rabelaisien. Je me disais : C’est impossible que cela puisse durer toute une éternité, cette comédie pantagruélique dans laquelle les puissants étaient les orties et les pauvres et les déracinés des pétales de roses arrachés de leurs corolles devenues exsangues. C’est impossible de laisser proliférer tant de plantes carnivores sur nos terres où notre sang inonde les caniveaux. C’est impossible de rester sans rien faire en assistant à tant de gâchis. Alors j’ai pensé autrement. J’ai secoué ma sève et ma surprise a été de voir d’autres bourgeons, si beaux et si plein de vie que je les ai pris dans mes mains et j’ai écrit, et j’ai ri, jubilé, et cela continue. J’ai regardé les choses et les gens autrement. Et c’était beau. Et c’était grand. C’est fou ce que la Vérité peut embellir un regard. Et j’ai découvert que je n’étais pas seul. Nous étions des centaines. Nous sommes des milliers. A vouloir faire de notre planète un paradis bleu. N’en déplaise aux orties enfermées dans des enclos barbelés, nous voulons cette Terre sur laquelle un enfant dira : Notre royaume est né.
Et des pétales d’automne, nous en ferons des colliers.
Ah j’oubliais, ceux qui pensent qu’une explosion nucléaire est plus réelle que l’éclosion d’une fleur confondent le réel et le pesant. Faire exploser la mort, ce n’est que semer dans le néant. Hep toi là-bas ! Viens avec moi. Je vais t’expliquer que le réel est entre les mains du potier. De l’argile, il peut façonner un boulet de canon ou un vase. Le boulet, même plus petit sera toujours plus pesant. Et ce Monde en devenir est entre les mains de ceux qui façonnent des boulets, des milliers de boulets, des milliards de boulets. Alors je te propose de devenir potier. Ainsi entre tes mains tu sentiras la force que personne ne craint et la Terre qui l’habille, la Terre de demain. Si tu façonnes un vase, tes amis y mettront des fleurs et poseront le tout sur la table des négociations afin que leur parfum embaume la salle, enivre les marchands de canon, anesthésie les potentats des bataillons et tout ce beau monde remontera dans les limousines avec des contrats ayant servi de mouchoirs et de chiffons.
Alors seulement, s’ils le veulent bien, nous pourrons les faire changer de dimension.
26.10.2020
M.L.