Da bep lec'h

Da bep lec’h

Camaret, octobre 2020

                Ici la pluie se mêle aux embruns que le vent, facétieux, est allé chercher à la Source et dont il s’est abreuvé jusqu’à l’ivresse. A présent, symbole invisible d’une autre histoire de liberté, il rend, il vomit à satiété sur un paysage à la fois stoïque, par ses falaises imperturbables et la houle, véritable langage à décoder. Si le souffle a bu, de l’effet-mer, les embruns nourrissants, s’il les rend sans vergogne à ces lieux majestueux c’est afin que le promeneur, immobile, écoutant son cœur, jette sa montre de malheur et sourit enfin à ces murmures d’éternité. L’homme est un diamant qui s’ignore. Il lapide ainsi son image et s’enchaîne aux rochers. La patience de l’eau a raison de la pierre qu’elle façonne à son gré. Les hommes puissants ont mille fois le poids des falaises. Les hommes légers les survolent avec leur zèle à aimer. Ceux-ci sont voyageurs. Ceux-là sont enlisés. Sur la lande d’herbes denses et de callunes, le temps a balayé la présence des fantômes naufragés. Au fond de l’amer, Ulysse et ses pourceaux flottent entre deux eaux accrochés à l’épave. Et Pénélope, rayonnante dans ses firmaments ajoute comme joyau un sourire à sa robe de lumière. Si la patience l’a tissée, c’est pour la vie, c’est pour la terre et ses voyageurs décapités. Mais je sais que sur la grève d’un crépuscule une silhouette, tête baissée, dos tourné ira rejoindre, clown triste, dominant miné, bouffon désenchanté la cohorte lugubre des pirates affligés.

Viens mon petit. Allons sur leurs routes, leurs chemins embaumer de ton parfum d’innocence les calvaires de leur souffrance pour d’autres demain.

Marée basse, messes basses, les espiègles vaguelettes chuchotent aux oiseaux venus faire leurs emplettes, des histoires océanes avec des ciels de tempêtes et des aubes diaphanes teintes de liberté. Pendant qu’ailleurs, enchaînés aux jetées du refus, les hommes-pouvoir, les hommes-devoir n’en peuvent plus de ce bruit sourd venant sans cesse les éclabousser, au fin fond duquel, ils peuvent deviner un oui de délivrance. Certains tirent leurs amarres, en ayant assez, mais le non-sens est plus fort que l’acier quand forgé par des Vulcain barbares, ces piteux potentats potelés assis sur leur fric et fumant des rouleaux de billets. Pourtant ces chaînes sont illusion, tout comme le confort de leurs géôliers. L’homme est un fruit de Mère, un bernard l’hermite se réfugiant dans sa coquille ayant peur de l’immensité. Il limite son être à cette exiguïté. Et les requins n’en font qu’une bouchée.

Je suis sur la grève aux galets, au seuil du soir à l’heure où la lumière s’abaisse à relever le sublime. Jusqu’au bout de l’horizon, jusqu’au cœur de l’infime. Venus au rendez-vous, les cris de quelques mouettes, je trouve cela chouette d’aimer comme un fou.

Dans un recoin de rochers, un korrigan me toise du haut de son narquois puis lève le pouce en me faisant un clin d’œil. Alors de cette connivence je le remercie en lui souriant et ferme mon recueil. Des éclats de lumière frémissent dans une flaque d’océan. L’homme est masqué par ses égarements et a le regard brouillé par des siècles de sang.

Réveille-toi, Humanité, il y aura à ton éveil tant de choses à choyer.

9.10.20

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