Bouquet de silences

7 fleurs de Silence

La rivière, dont les rives sont bordées d’arbres, coule, tranquille au creux d’un vallon. Le pêcheur est arrivé il y a à peine quelques minutes et a déjà sa ligne à l’eau. Installé sur son siège, il respire longuement, comme pour évacuer cette semaine de travail. Ce n’est pas encore le jour même si la nuit est partie. Une petite brise vient jouer sur la surface de l’eau alors qu’un martin-pêcheur a déjà entamé ses allées et venues d’une rive à l’autre. Aucun bruit. Quand bien même il y en aurait, ce ne serait que le chant d’un pinson, ou celui d’un rouge-gorge, en fait comme posés là pour souligner la magie de cette paix. C’est là que je cueille ma première fleur de Silence. 

Les parents sont penchés sur le berceau où le nourrisson d’à peine quelques jours vit déjà ses premiers songes angéliques. On a beau dire, on a beau mentir, exhorter aux combats, à la crise, à tout ce qui fait immonde ce Monde perdu, l’image de ces parents penchés sur le berceau est une des clés du Royaume. Nul besoin de discours, de musique, d’éloges. Le Silence crée tout cela. Alors je cueille une deuxième fleur de Silence.

L’ossuaire de Douaumont est une plaie fermée mais quelque part toujours purulente. Ici le silence est à la fois pesant et malaisé. S’il fallait traduire son langage, ce serait un seul mot à prononcer : Pourquoi ?  Je cueille quand même sa fleur.

La mère a réussi à se lever, portant son enfant famélique dans ses bras. Elle a fui la guerre, elle a traversé son désert et là, devant elle un médecin de MSF regarde l’enfant. Il n’y a plus rien à faire. Il va mourir. Seuls ses yeux grands ouverts, remplis d’une lumière prononcent le même mot : Pourquoi ?

Je cueille cette fleur de Silence.

Le paysan, au volant de son tracteur, gare son engin près de sa ferme. Aussitôt, il rejoint son épouse assise sur le banc adossé au mur de l’entrée. Il s’assoie à côté d’elle. Tous deux se regardent et se sourient. Ils ont travaillé tout le jour et ce qui les rend fiers et heureux c’est la ferveur de ce travail, différent de bien des autres axés sur le chiffre d’affaires, les bénéfices, l’arrogance des patrons, l’avidité des actionnaires.   Le chien vient s’asseoir à côté du couple et avec sa patte réclame une caresse. Qu’il reçoit. Un peu plus bas, dans le jardin, le merle vient de commencer sa sérénade qui durera une vingtaine de minutes. Pas un bruit. Tout est sérénité. Je cueille ma fleur de Silence.

Le randonneur vient d’arriver en haut de la colline, s’arrêtant à la clairière du bois pour observer les côteaux qui arborent des vignes généreuses. Les vendanges sont pour bientôt. A droite, un peu plus bas, un village dont le clocher dépasse d’un ruban de brume. Le jour pointe. Le soleil se lève, rouge et or et traversant la brume, lui apporte une couleur rouge-orangé. A l’instant, tout est parfumé, parfum de terre, de fraîcheur rosée, de récent pétrichor, de terre vivante. Le randonneur s’assoit et pense :

  • Je voudrais rester ici jusqu’à la fin de mes jours.

Je cueille la fleur de Silence.

Une vieille dame va chaque jour allumer une bougie pour son fils mort pour l’honneur de son pays. Elle n’a que faire de cet honneur. Il lui a pris son fils. Une cohorte de messieurs vont déposer une gerbe au monument aux morts. Peu importe les noms. Seul compte cet honneur. Ils n’ont dans les mains qu’un cœur calciné alors que la vieille dame « enflamme » son amour. Et soudain, tout cet amour se déploie dans son être entier. Elle frissonne d’émotion. Quelques larmes coulent. De joie. Tout s’est déroulé, a éclos en silence. Je cueille la fleur de Silence.

J’ai mon bouquet. Aussitôt, je vais au Temple de la Certitude et j’entre dans la grande salle. En son centre, une table en verre d’un joli bleu. Dessus, un vase de lumière. J’y mets les fleurs de silence. Un profane m’observe. Je vais à lui et lui dit :

  • A ton avis, quelles seront les premières fanées ?

Michel Labeaume

Date de dernière mise à jour : 07/04/2024

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